Philippe André fait partie de ces réalisateurs de clips vidéo qui, pour certains d’entre eux, parviennent, dans ce laps de temps réduit qu’un morceau de musique de taille standard offre, à installer un paysage mental. Sans doute ce court métrage réalisé en couverture du morceau « Another chance » de Roger Sanchez constitue t-il sur ce point une expérience particulièrement réussie, montrant d’ailleurs au passage à quel point la musique contemporaine peut souvent être conçue comme une pièce dans un dispositif plus large qui intègre le monde tout entier, dont la musique finit par être la bande originale. Ici , c’est le coeur de nos existences inquiètes de nos solitudes qui constitue le territoire sur lequel la musique de Sanchez va se déployer, et de toute évidence, le clip l’emporte sur sa bande-son. Pour ceux qui seraient en révision de cette partie du programme qu’est la réflexion sur le désir, il y a là une mise en forme qui permet de fixer durablement des éléments de réflexion. C’est une constante en art de pouvoir modifier la représentation de la réalité de telle manière que ce qui est d’habitude invisible finisse par crever les yeux; mais les matérialisations de l’invisible telles qu’en propose ce clip, si elles sont fréquentes, tombent souvent dans le ridicule. Ici, le fait qu’on assume de bout en bout le caractère un peu mièvre de la quête amoureuse de cette jeune fille (qui est tellement en soif amoureuse qu’elle en inquiète ceux qui pourraient l’aimer, au point de les faire fuir) permet d’accepter sans réticence cette image énorme, qui semble contre toute attente particulièrement réaliste et finit par former un paysage tout à fait cohérent, y compris quand on quitte l’univers du clip, et qu’on se replonge dans nos propres déambulations, dans nos villes peuplées, elles aussi, d’âmes errantes, attendant plus ou moins désespérément qu’une autre âme en peine les aborde, les bras chargés du vide encombrant de leur manque. Miraculeusement, dans ce clip, tout fonctionne, y compris les moments où le coeur disparait pour laisser la place aux traces laissées sur ce visage inquiet par la déchirure des sentiments et la vacance du coeur.